La statistique recense, dénombre, comptabilise, calcule, évalue. Elle remplit de chiffres des cases de tableaux. Oui, mais moi, je suis l’incertitude. Je bouscule les chiffres, je les remets en cause, j’affirme qu’ils sont toujours faux !
L’institut national de la statistique déclare que la population française au 1er janvier 2021 compte 67 407 241 habitants, selon le bilan démographique 2020, paru le 29 mars 2021. Quelle précision ! Et pourquoi pas 67 408 327 ? À quel moment y a-t-il eu exactement ce nombre-là d’habitants ? Cela s’est-il même seulement produit ?
Quand la statistique doute, elle estime, redresse, corrige des variations saisonnières. Elle sait que je suis toujours là, en embuscade, mais elle ne peut pas s’empêcher d’affirmer, de faire comme si je n’existais pas. Retenons qu’il y a, en gros, 67,4 millions d’habitants en France.
Qu'est-ce qui est sûr ?
Revenons à la base : la définition. Le dictionnaire déclare que je suis l’état de ce qui n’est pas certain. Ou alors que je suis une chose imprévisible. Nous voilà bien avancés. Même Wikipédia s’en sort par une pirouette, en commençant par me définir comme le contraire de la certitude. Il faut le dire : je suis insaisissable !
L’encyclopédie développe plus longuement, pour montrer mon caractère incontournable, que j’interviens dans les fondements mêmes de la mécanique quantique, ce nouveau champ d’exploration de la science. « Mon » principe, plus correctement nommé principe d’indétermination, établit que le concept même de grandeur précise n’a pas de sens sur le plan quantique.
Cependant, dans le monde matériel, on continue de chercher à tout mesurer : la raison cherche toujours à se rassurer. Et quand on peine à mesurer avec exactitude, on cherche même à me mesurer. Quel comble ! Mesure de précision, marge d’erreur, intervalle de confiance, on accepte l’idée de se tromper, en cherchant à savoir de combien on se trompe.
Prendre la mesure de l’incertitude
Cet intervalle, qui veut inspirer confiance, est le résultat de savants calculs mathématiques qui visent à estimer les bornes entre lesquelles la « vraie » valeur a un certain pourcentage de probabilité de se trouver. Il se calcule pour un indicateur statistique, par exemple une moyenne, calculé sur un échantillon représentatif d’une population.
Et comme le précise fort pertinemment l’Insee dans sa définition, « L’intervalle de confiance ne prend en compte que le fait que les résultats proviennent d’une enquête par sondage aléatoire, et non les autres sources d’erreurs : réponses inexactes ou mal interprétées, biais des non-réponses… »
C’est la raison pour laquelle les résultats de sondages d’opinion, qui cherchent par exemple à prédire les résultats d’une prochaine élection, sont souvent à prendre avec précaution. Rien n’est joué d’avance, je veille !
L’intervalle de confiance est une mesure qui mériterait d’être plus souvent utilisée par les concepteurs de datavisualisations. En voici une belle utilisation, extraite de l’atlas Local Health de Public Health England. Pour chaque indicateur, l’intervalle de confiance permet de savoir si la valeur pour une zone géographique donnée est significativement différente de la moyenne de l’Angleterre. L’image ci-dessous montre par exemple que la part de personnes âgées vivant seules est significativement pire dans l’aire de Brighton que dans l’ensemble de l’Angleterre.
Pourquoi l’intervalle de confiance est-il rarement illustré dans les représentations graphiques destinées au grand public ? Parce qu’il est plus compliqué à calculer ? Parce qu’il est plus difficile à expliquer ? Pour donner l’illusion de la précision ? Pourtant, je suis partout ! Tout comme la statistique, je me niche dans de nombreux domaines de la connaissance.
Épidémiologie, économétrie, météorologie...
Prenons encore l’exemple de la santé. La médecine fait des progrès prodigieux, jusqu’à nous faire croire au prolongement de la jeunesse, à l’allongement interminable de la vie. Il me suffit d’un simple virus pour balayer ces croyances. Sans prévenir, la pandémie contraint la planète tout entière à ralentir son agitation frénétique. Belle leçon d’humilité et de patience. Il faut du temps pour apprendre et tirer les leçons de la crise. Même les médecins, parfois, ne savent pas. Les meilleurs d’entre eux savent humblement le reconnaître. Moi, j’ai tout mon temps.
Pour préserver la santé du plus grand nombre, on a mis à genoux l’économie, cette formidable activité humaine qui ne voyait que par la croissance et qui voulait dominer le monde par la production, la distribution, la consommation. Les modèles économétriques mesurent tout avec un seul étalon : l’argent. Ils ont oublié celle qui échappe à leurs mesures : moi. Dans une quête d’objectivité, ils déterminent la richesse d’un pays avec son PIB. Cependant, quelques idéalistes commencent à réfléchir à une notion de bonheur intérieur brut. Oui, mais le bonheur n’a que faire des certitudes…
Obnubilés et tiraillés entre les enjeux de santé et les enjeux économiques, on risquerait d’oublier d’autres enjeux essentiels de l’époque actuelle, ceux du climat. Depuis longtemps déjà la météorologie observe, enregistre, décrit et prédit avec de plus en plus de précision le temps qu’il fait dehors. Ces modèles toujours plus puissants montrent l’évidence du réchauffement climatique, sauf pour ceux qui persistent dans le déni. Combien faudra-t-il encore de crises pour que le plus grand nombre sorte de l’aveuglement ? Ce n’est hélas pas moi qui ai la réponse.
Dans bien des domaines, des idées que l’on prenait pour des certitudes sont balayées. On a voulu me réduire, je prends ma revanche. Je remets les pendules à l’heure. Je rappelle juste que rien n’est jamais certain. Ou alors pas grand-chose. Oui, une seule chose : la vie existe, et c’est un miracle. Des organismes vivants naissent et meurent à chaque instant, de la moindre bactérie à l’animal évolué que prétend être l’humain. Si chacun connaît sa date de naissance, personne ne sait à l’avance l’heure de sa fin inéluctable. Entre les deux, chacun fait de son mieux pour tracer son chemin… en ma compagnie.