L’Album de statistique graphique paraît annuellement de 1879 à 1895, puis tous les deux ans de 1895 à 1899. Cette vingtaine d’albums sont considérés par Michael Friendly, un chercheur américain qui en a rassemblé la collection complète, comme l’apogée du « Golden Age (1850-1900) de l’art de la data-visualisation ».
Après Charles Joseph Minard, Émile Cheysson, un autre polytechnicien des Ponts-et-Chaussées, y collecte et produit des planches d’une inventivité et d’un souci de composition remarquables. On peut en consulter en ligne[1] plusieurs dizaines de cartes et graphiques en très haute résolution et admirer la splendeur, l’originalité et la méticulosité de ce créateur méconnu.
Cette carte « figurative » des recettes des stations de chemins de fer est quasiment un cartogramme, les symboles ne se chevauchent jamais, l’auteur a su décaler subtilement les symboles (voir Sète, à l’époque orthographié Cette, ou Rivesaltes). La légende est en elle-même un roman… Le rayon dépend bien de la racine carrée de la valeur. La réalisation est impeccable.
L’on découvre une bien curieuse anamorphose ici, où la baisse des prix des voyages est figurée par un rétrécissement progressif du territoire, comme si ses marges devenaient soudain plus accessibles…
Émile Cheysson innove encore avec cette représentation spatio-temporelle des évolutions de population (« cartogrammes à foyers diagraphiques »), le rouge figurant les pertes, le gris, les gains, par rapport à l’année de référence, milieu de la plage de l’analyse.
A l’occasion d’une visite en France, en 1995, Antoine de Falguerolles, statisticien de l’université de Toulouse, lui présente cette carte, qui l’électrise littéralement (« it knocked me off the chair i was sitting on[2] » ). Friendly a devant les yeux un travail qui fait écho à ses propres recherches, mais de plus de 100 ans précurseur du sien !
Il va alors s’employer à rassembler tous les albums. Coup de chance, 2 ans plus tard, on l’informe qu’un libraire de la rue des Beaux-Arts à Paris en détiendrait la collection complète. Friendly se précipite à Paris. Renseignements pris, il peut les acquérir tous pour 10 000 francs. Il propose alors de créer une association de chercheurs passionnés qui pourra rassembler cette somme.
Constituée en une semaine à peine, elle se dénomme « Les Chevaliers des Albums de Statistique Graphique ». En voici les membres, autour de la tombe de Charles Joseph Minard au cimetière du Montparnasse, sur laquelle ils ont fait poser une plaque (2017) exposant son plus fameux graphique.
Autre facteur favorable, vers 1850, les techniques lithographiques ont été adaptées à l’impression couleur, lui permettant d’être utilisée comme une variable visuelle importante dans la conception de cartes thématiques et de diagrammes statistiques. Les Albums en sont une illustration remarquable.
Friendly[5] célèbre ainsi le travail d’Émile Cheysson :
« These Album de Statistique Graphique can be considered the pinnacle of the Golden Age, an exquisite sampler of nearly all known graphical forms, and a few that make their first appearance in these volumes »
Pour en savoir plus
[1] Les Albums de statistique graphique – David Rumsey Collection
[2] A conversation on historical datavisualisation, Friendly, Rendgen, Lima, 2020
[3] Des Chiffres et des cartes, Gilles Palsky, 1996
[4] The Milestones project, Friendly, Denis, 2002
[5] The Golden Age of Statistical Graphics, Friendly, 2008
[7] L’ingénieur d’État ou le père de famille : Émile Cheysson et la statistique, Desrosières, 2008