Récréation – recréation sémiologique*

Les publications statistiques de la Drees sont très intéressantes sur le fond, mais j’ai parfois un peu de mal à comprendre rapidement le message des graphiques qu’elles présentent…

Cet article de juillet 2023 sur « les mesures socio-fiscales 2017-2022 » évoque un sujet majeur, celui du pouvoir d’achat, et la contribution des prestations sociales comme le RSA, les aides au logement ou la prime d’activité, à son évolution récente. Les impôts et les taxes sont également pris en compte : quand ils baissent, ils augmentent le « revenu disponible ».

Nous allons examiner deux graphiques de cette publication et voir comment les reconstruire de façon plus expressive.

Ce premier diagramme expose les différentes composantes du revenu disponible : salaire (quand la personne travaille), prestations sociales, impôts et taxes. Le graphique considère un « cas-type », celui de personnes seules locataires, à différents niveaux de salaire, y compris celles sans activité (pas de salaire).

Bien qu’évoquant une « décomposition », le graphique de la Drees met surtout l’accent, par des aplats de couleur tranchés, sur la différence entre salaire (ligne rouge) et revenu disponible (ligne noire). Cette représentation dérivée élève d’emblée le niveau d’exigence requis pour la bonne compréhension des concepts et de leur articulation.

La zone de croisement des courbes est un peu floue, il faut saisir que la surface bleue (impôts) vient se soustraire du salaire pour aboutir au revenu disponible.

Reconstruire posément avec un outil simple type Datawrapper

Commençons par mettre à plat, de façon homogène, toutes les composantes du revenu disponible :

La Drees fournit les données détaillées avec l’article (elles vont même jusqu’à 2 smic), et j’utilise l’outil web Datawrapper dans sa version gratuite, par copier/coller du jeu de données.

Les aires (colorées de façon plus douce) traduisent clairement toutes les contributions, positives (salaire et prestations) ou négatives (impôt). Les trois grandes catégories se distinguent aisément par leur opposition chromatique (oranges, vert, gris).

Le seul tracé linéaire dessine la résultante, le revenu disponible. L’on devine intuitivement qu’il exprime la soustraction entre contributions positives et négative.

L’impôt apparait un peu avant (1,1 smic) que les prestations ne s’effacent (1,45 smic).

En inversant le placement de la prime d’activité et des aides au logement (AL), je mets mieux en évidence la quasi-constance des AL de 0 à 0,4 smic.

D’une façon générale, ramenant à une base horizontale un maximum de contributions (salaire, RSA, AL et impôt), leur évolution devient précisément perceptible.

Légende intégrée (les aires sont nommées au plus près), suppression du grisé d’arrière-plan, atténuation des grillages contribuent à la hiérarchisation des éléments du graphique, et donc à la lisibilité d’ensemble.

Pour parfaire le résultat, je réintègre les mentions obligatoires (source, définitions), ajoute un titre informatif et annote quelques points clés.

Ce graphique de synthèse traduit l’essentiel à retenir des mécanismes de compensation et d’amortissement à l’œuvre. Il est plus facile à mémoriser.

En réalisant ce travail sémiologique, j’ai enfin saisi l’articulation de concepts que je n’avais compris que partiellement jusqu’alors. Ces vagues qui se déploient et se succèdent deviennent tout naturellement esthétiques : la beauté nait de l’évidence.

C’est un autre graphique que la Drees a mis en avant sur les réseaux sociaux, car il relaie le titre et donc le message essentiel de l’étude : comment le pouvoir d’achat a-t-il évolué ces 5 dernières années selon le niveau de salaire ?

Si j’ai assez vite épinglé ce graphique dans mes « favoris », c’est qu’au bout de 10 secondes je n’avais toujours rien saisi, même pas un début de fil à tirer ! Ces empilements colorés flottaient devant mes yeux sans qu’aucune porte ne s’ouvre.

J’ai donc suivi la même démarche que précédemment, partant des données détaillées et jouant avec Datawrapper. La première action clarifiante consiste à ramener les données à comparer à une base (verticale) commune : les éléments ne flottent plus, le diagramme gagne en structure.

Après transposition, cette représentation quasi-brute proposée par l’outil graphique a commencé à me parler, des motifs et des regroupements naturels se laissent deviner.

Jacques Bertin : « Comprendre, c'est catégoriser »

Ainsi, suivant le précepte bertinien du reclassement optimal des colonnes (les lignes sont déjà naturellement ordonnées), j’aboutis après quelques permutations à ceci :

Je place en premier l’indicateur de synthèse, l’évolution du revenu disponible. Ensuite, deux groupes de composantes s’ordonnent dans un sens que le choix des couleurs rehausse.

Il est d’abord manifeste que le revenu disponible a évolué en 5 ans de façon fort différente sous le smic et à partir d’un smic :

  • Le maximum, près de 9 % de progression, s’observe pour les personnes seules au niveau du smic ; il est porté par la prime d’activité (forte revalorisation du bonus individuel en 2019).
  • Au-dessus du smic, la progression du salaire net et surtout la diminution de la taxe d’habitation et de l’impôt sur le revenu prennent le relais : elles assurent une augmentation de près de 5 %.
  • Sous le smic, la baisse sensible des aides au logement n’a pas été compensée par les « aides exceptionnelles » : il en résulte une diminution de pouvoir d’achat de l’ordre de -1,5 %.

Ces trois constats sont bien plus aisément perceptibles qu’avec le graphique originel. Un titre informatif peut les introduire, dans cette version finale : 

3 commentaires sur “Récréation – recréation sémiologique*”

  1. Bravo Eric:
    la recréation n’est pas une récréation, et elle permet de réellement visualiser la structure des données!
    Entre les 2 présentations de graphiques c’est le jour et la nuit comme l’on dit grossièrement…

  2. Merci pour ce retour à Jacques Bertin. Cette citation : un concentré de ce personnage dont j’ai suivi les cours qu’il animait dans les années 80…
    YH

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