Les joies et les challenges du formateur en datavisualisation

Dans l’offre que propose icem7, l’axe qui porte sur la formation tient une bonne place et a bien occupé Éric ces derniers mois. Je lui ai posé quelques questions pour qu’il raconte sa façon de concevoir la formation et qu’il explique en quoi elle est originale et appréciée par ses stagiaires.

« Avoir été chargé d'études stimule aujourd'hui ma démarche de formateur. »

IC : Éric, depuis l’origine de ta carrière professionnelle, tu pratiques la représentation graphique des données, pendant longtemps essentiellement cartographique, mais pas seulement. Tu as acquis une solide expérience, qui prend ses racines, dis-tu, dans tes débuts en tant que chargé d’études. En quoi ce métier de chargé d’études nourrit encore ta pratique aujourd’hui ?

EM : Être chargé d’études, cela signifie produire une publication, un écrit et des visuels que des gens vont avoir envie de lire. Il s’agit d’extraire l’essentiel d’un vaste ensemble de données, faire comprendre comment une situation est organisée dans l’espace, comment elle évolue au fil du temps, par exemple l’industrie en Limousin, l’agriculture en France, l’emploi, la santé, tous les domaines mesurés par des statistiques.

En tant que chargé d’études, on s’adresse à des lecteurs qui ne sont pas forcément des experts, pas toujours habitués à lire des tableaux statistiques et des textes pleins de chiffres. Il convient de les aider à apprendre et à comprendre. Le chargé d’études est un médiateur qui met à l’épreuve les données qu’il traite. C’est un métier exigeant, qui demande d’embrasser large au début, sur un sujet qui peut être assez vague, pour beaucoup réduire au cours de son travail et ne conserver in fine que ce qui fait réellement sens.

Pour être sûr de bien ratisser toutes les données à sa disposition, le chargé d’études doit d’abord maîtriser les outils techniques de requêtage et de tabulation. Une fois les données nettoyées, triées, filtrées, organisées, à l’autre bout de la chaîne, le chargé d’études, tel que je le conçois, devient un artiste qui maîtrise le design graphique et le style d’écriture.

Au-delà du simple traitement du chiffre, toute la noblesse du métier de chargé d’études est de transmettre un message et de rendre service à des personnes, en les éclairant et parfois en les surprenant. Au cours des formations que j’anime, j’accompagne mes stagiaires dans ce cheminement exploratoire des données. J’ai beaucoup aimé faire ce travail au début de ma vie professionnelle. Ma carrière aurait pu me conduire vers de la recherche plus abstraite ou bien vers de l’encadrement. J’ai suivi un fil plus concret et j’apprécie cette forme de retour aux sources, au stade où j’en suis aujourd’hui, dans mon métier de statisticien. Je crois sincèrement que l’art de la datavisualisation ne s’affine que couplé à celui de l’écriture, et dans l’interaction avec de multiples relecteurs de tous horizons. A contrario, Twitter et ses coups d’éclat graphiques, c’est trop souvent le règne de l’entre-soi, du hors-sol.

Le style “Éric Mauvière”

IC : Aujourd’hui, en tant que consultant, un domaine d’activités que tu développes est celui de la formation. Tu t’adresses donc à des institutions, des entreprises, des personnes, pour les aider à accroître leur compétences en matière de datavisualisation. L’offre de formation que tu développes comporte deux axes : formation aux outils et formation à la sémiologie. Les sessions que tu proposes sont organisées « sur mesure » et mêlent en général les deux axes. Peux-tu expliquer ta démarche ?

EM : Plusieurs organismes de formation inscrivent à leur catalogue des sessions consacrées à la maîtrise d’outils techniques, par exemple R pour la statistique, ou d’autres logiciels orientés datavisualisation. Je n’ai pas envie de m’enfermer dans des formations trop spécialisées, purement techniques et répétitives.

Il est plus intéressant pour moi de me placer au plus près des personnes que j’accompagne en formation. Je prends d’abord de le temps de les écouter, de les aider à formaliser leurs attentes et leurs besoins. Je construis pour eux un programme adapté, basé sur leur contexte de travail, à partir de leurs données et de leurs exemples de datavisualisations.

Il ne suffit pas d’être un virtuose des outils techniques, de maîtriser des langages de programmation sophistiqués ou d’avoir lu tout Bertin ou tout Tufte. Il s’agit de construire des représentations à la fois efficaces (pour le lecteur) et gratifiantes (pour le concepteur). Nous partons donc d’exemples concrets, amenés par les stagiaires, pour qu’ils s’impliquent tout naturellement.

Pas à pas, nous progressons ensemble sur le chemin qui part de l’acquisition des données, passe par leur nettoyage et leur traitement, pour aller jusqu’à leur représentation. Pour cela, je trouve que Datawrapper est à l’occasion un outil pratique car il facilite cette démarche progressive. Il permet aussi de tester facilement des variantes de graphiques.

Au sein d’un même organisme, je m’adresse souvent à des personnes de profils très différents, par exemple certains plutôt informaticiens, d’autres plutôt rédacteurs ou animateurs de terrain. Ce qui pourrait sembler un handicap se révèle être une richesse. En m’appuyant sur les différentes compétences des uns et des autres, un contexte se crée dans lequel tout le monde apprend, y compris moi. Chacun trouve son compte et progresse dans les domaines où il est moins à l’aise.

Je crois que ce qui fait la singularité des formations que je propose est qu’il s’agit chaque fois d’un programme réellement personnalisé, construit à partir de problématiques très concrètes, celles dans lesquelles mes stagiaires baignent au quotidien dans leur travail.

Des anecdotes

IC : Dans les formations que tu as animées ces derniers temps, peux-tu nous raconter une ou deux anecdotes qui te paraissent exemplaires de ce que tu cherches à transmettre et qui illustrent la singularité de ta pratique ?

EM : Dans mon métier d’aujourd’hui, je suis parfois en position de prestataire, où je fournis un travail fini. Je me retrouve aussi en situation de conseiller, et donc de donner des recommandations, des orientations. Mais le plus fructueux, et aussi le plus exigeant, c’est de transmettre les compétences pour rendre les personnes autonomes. Plutôt que de faire ou de dire quoi faire, il vaut mieux montrer comment faire. Cependant la transmission de compétences est un art difficile et un peu mystérieux…

Un défi à relever est de gérer des groupes hétérogènes. En formation, chaque stagiaire a son poste de travail. Je me souviens d’une fois où, d’une session à une autre, un des stagiaires n’avait pas retrouvé son environnement précédent. J’ai dû passer un peu de temps auprès de lui pour l’aider à reconstituer les choses. Pendant ce temps, j’ai eu la satisfaction de voir le reste du groupe à même de poursuivre les exercices en autonomie, en s’appuyant sur une énergie collective positive.

Une autre situation à laquelle je me retrouve confrontée, c’est quand on me présente des graphiques qui me paraissent franchement peu efficaces, mais qui plaisent à leur concepteur parce qu’ils ont demandés du travail ou qu’ils lui paraissaient “stylés” (ex : un radar). À mon âge et au stade où j’en suis arrivé de mon parcours professionnel, j’ai suffisamment de “bouteille” pour me permettre de dire les choses, avec diplomatie évidemment, mais aussi avec franchise, sur la base d’un raisonnement sémiologique.

Par exemple, face à un graphique en barres empilées, déjà en place dans une application qu’il s’agissait de rénover, je n’avais même pas envie d’essayer de comprendre. Plutôt que d’en rester à reprogrammer le même graphique avec un nouvel outil, j’ai préféré proposer une alternative plus élégante et épurée, mieux mise en couleurs, pour porter plus clairement le message.

Évidemment, il s’agissait de ne froisser personne. C’est pour cela que j’aime montrer des exemples de bonnes pratiques, plutôt que des “fails”. Je me souviens d’une fois où je présentais un exemple qui m’avait plu (voir l’échelle de Likert ci-dessous), en soulignant ses aspects positifs, quand un des stagiaires m’a fait remarquer que sur un autre aspect, cet exemple contrevenait à une des règles de sémiologie sur laquelle nous avions travaillé : mon exemple n’était plus si exemplaire, pour autant, il en devenait plus instructif encore !

Original
Rectifié

Ce graphique est une représentation possible d’une échelle de Likert. Il en existe d’autres, qui présentent chacune des avantages et des inconvénients. Celle-ci présente un défaut, corrigé dans l’image rectifiée.

Il convient dans ce genre de situation de rester humble, d’être capable de s’adapter, d’accepter d’être désarçonné, pour rebondir et convertir l’imprévu en quelque chose de positif, où tout le monde apprend et ancre durablement ses moments d’illumination. C’est aussi ce que j’aime dans cette activité : de continuer toujours à apprendre. Chaque formation est différente et donne chaque fois l’occasion de progresser et d’élargir son expérience.

Une richesse que j’apprécie beaucoup en formation, c’est la dimension humaine. C’est ainsi que, pour relater une autre anecdote, je me suis retrouvé à accompagner une équipe de chargés d’études dans le contexte d’une réorganisation. Pendant la préparation de la formation, j’ai reçu en entretien des personnes préoccupées par des questions de management, de turnover des équipes, de gestion des conflits… La formation devient alors une opportunité pour faire fonctionner ensemble des personnes dans des domaines d’expertise différents, soumises aussi à des contraintes hiérarchiques. Une belle expérience de psychologie humaine ! Dans l’idéal, en datavisualisation, il faudrait former ensemble les techniciens et toute la chaine hiérarchique.

Regard dans le rétroviseur

IC : Éric, tu es statisticien, j’oserais dire statisticien dans l’âme, soucieux de donner du sens aux données depuis le début de ta carrière, il y a plus de 30 ans. Est-il juste d’imaginer qu’une des raisons qui t’ont conduit à quitter le statut d’administrateur de l’Insee est le souhait de rester proche de ton métier d’origine, plutôt que grimper dans la hiérarchie et t’éloigner de l’activité d'”explorateur des données” ?

EM : Je ne peux pas dire qu’il s’agisse de décisions conscientes, mais c’est vrai qu’a posteriori, il est possible de reconstruire une certaine cohérence. Dans mon parcours, il y a eu aussi des choix d’un équilibre de vie, le souhait de conserver toujours une activité technique, de continuer à fabriquer des choses par moi-même comme le fait l’artisan, même si c’est en tapotant sur un clavier, moi qui ne suis pas très manuel. C’est sans doute un mélange d’intuitions et de choix assumés. Et puis, j’ai connu la période magique de l’avènement de l’internet…

Je suis resté fidèle à ma formation de départ de “polytechnicien”, en continuant à creuser le sillon de la technique, avec aussi ce côté un peu touche à tout. Ces personnes que j’aurais pu devenir, je les croise aujourd’hui, je comprends bien leur problématique, je me sens capable de les aider, mais je suis très bien à ma place !

La “stat”, c’est un métier noble, mais pas forcément très valorisé : les “geeks” et les “hackeurs” prennent mieux la lumière que les rédacteurs et les analystes. Pourtant, parfois, un bon vieux camembert ou un diagramme en barres est juste la bonne chose à faire, plutôt que le dernier treemap ou Sankey à la mode. J’ai aujourd’hui la chance de pouvoir me permettre de dire cela.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.