Nous sommes deux sœurs, très proches l’une de l’autre. Quasiment inséparables, nous allons main dans la main. On pourrait même nous imaginer jumelles, tant l’une ne pourrait exister sans l’autre. Difficile de donner une date précise pour notre venue au monde, nous sommes nées il y a quelques décennies. À l’échelle d’une vie humaine, la cinquantaine, c’est l’âge de la maturité. À celle de l’Histoire, c’est juste un instant.
De tout temps, l’être humain a cherché des moyens de se faciliter la vie et d’alléger ses efforts. Il a appris à compter, en se servant de ses doigts, puis en gravant la pierre ou en laissant des empreintes dans l’argile. Pour calculer toujours plus vite, il a inventé des bouliers, des abaques, puis des machines mécanographiques. Ma sœur et moi sommes arrivées plus tard, alors que la révolution industrielle était déjà bien avancée.
Aujourd’hui, nous intervenons dans tous les domaines de la vie humaine, pour faire fonctionner les machines de manière toujours plus « intelligente ». Les premières qui nous étaient consacrées remplissaient des salles immenses. Elles tiennent désormais dans des puces minuscules. Les premiers énormes ordinateurs n’étaient pas capables d’autant de fonctionnalités que les smartphones actuels, dont les humains ont de plus en plus de mal à se passer.
Du « dur » et du « mou »
Nous sommes l’informatique, celle qui s’occupe des machines, du « hardware », pourrait-on dire, et la programmation, celle qui permet le dialogue entre les humains et les machines, plutôt le « software ». Depuis notre naissance, la loi de Moore s’est longtemps étonnamment vérifiée, énonçant que la capacité ou la puissance des ordinateurs double environ tous les 18 mois à 2 ans. Ce postulat empirique semble désormais dépassé, tant tout s’accélère.
Avec la maturité, est-ce la sagesse ou la folie qui prend le dessus ? Depuis le milieu du XXe siècle, l’évolution est prodigieuse. Ce qui semble évident aujourd’hui était impossible à envisager alors, sauf dans les livres de science-fiction. Que nous réserve l’avenir que nous ne pouvons pas concevoir actuellement ? L’avènement de l’« intelligence artificielle » promet un futur extraordinaire. Les esprits pessimistes prédisent même la victoire de la machine sur l’humain. Qui sait ?
Ma sœur et moi, nous vivons au cœur de toutes ces évolutions. Ma sœur, la programmation, s’occupe des langages qui permettent aux humains de communiquer avec moi. Il existait déjà d’innombrables langues à la surface de la planète, à la fois expressions de la pensée et outils de communication. Elles permettent aux humains d’essayer de se comprendre entre eux (ce qui n’est pas toujours facile).
Dialogue personne-machine
En voici de nouvelles, toujours plus abstraites et plus sophistiquées, de couches et surcouches, avec des noms plus ou moins poétiques : C, C++, Python, JavaScript, SQL, PHP, R… Un index des plus utilisés est même tenu à jour ! Et la famille ne cesse de s’agrandir. Les programmeurs, les développeurs, les codeurs, les informaticiens de tout poil sont les experts de ces langues abstraites, dotées elles aussi d’un vocabulaire, d’une grammaire, d’une syntaxe… Tout cela pour traduire des instructions en une suite d’informations binaires, des « bits » : vrai ou faux, oui ou non, 0 ou 1.
Quant à moi, l’informatique, je m’intéresse au traitement automatisé de l’information. Dès lors qu’un calcul peut être traduit par un algorithme, cette séquence peut être reproduite à l’infini, le calcul peut être automatisé. Pour filer la métaphore familiale, je pourrais dire que j’ai 5 enfants, chacun spécialisé dans une partie du traitement de l’information : acquisition, transport, stockage, transformation, restitution.
Même si l’information est dématérialisée, ces traitements reposent quand même sur des machines. Il est amusant d’ailleurs de constater que ces traitements seraient de nature similaire s’il s’agissait de biens matériels. Imaginons par exemple des kilos de patates à réceptionner, transporter, conserver, transformer et livrer !
Mesure de la mémoire : toujours plus
L’acquisition est longtemps passée par un fastidieux travail de saisie. Il est aujourd’hui largement remplacé par d’autres modes : photos, enregistrements sonores ou vidéo, numérisation. La branche « transport » connaît aussi sa révolution depuis l’avènement du web, qui connecte entre eux tous les ordinateurs de la planète. La mémoire se mesure toujours en octets (rappelons qu’un octet est une série de 8 bits, qui peut donc représenter 28 = 256 caractères). On ne compte plus aujourd’hui en kilo- ou en méga-, mais en giga- ou téra-, voire en pétaoctets [1].
Les domaines qui passionnent le plus Éric, statisticien et informaticien dans l’âme, sont ceux de la transformation et de la restitution de l’information. Il s’intéresse même en ce moment à des jeux de données qui traitent eux-mêmes de jeux de données : vertige de la mise en abîme ! La vague de l’« open data » apporte elle aussi sa révolution, qui rend plus facilement accessible un volume toujours croissant de données.
Un peu d’histoire
et de féminisme
L’Histoire a été, depuis la nuit des temps, plutôt écrite par des hommes. Le rôle des femmes a été souvent minimisé, voire carrément occulté. C’est un combat féministe actuel que de réhabiliter les femmes à leur juste place.
Par exemple, c’est au XIXe siècle qu’a été écrit ce que les spécialistes considèrent comme le premier programme informatique. Et son auteur était Ada de Lovelace, une femme passionnée de mathématiques, avec la machine de Babbage, un ancêtre des ordinateurs.
Un autre exemple est celui auquel rend hommage le film Les figures de l’ombre ou Hidden figures. Il raconte l’histoire de 3 femmes, simples « calculatrices » au départ, qui ont contribué aux programmes aéronautiques et spatiaux de la Nasa dans la conquête de l’espace, notamment la mission Apollo 11 du premier voyage vers la lune, en 1969.
[1] NDLR : je me souviens d’un des tout premiers ordinateurs domestiques, l’Amstrad CPC 464, avec son écran monochrome vert, son lecteur de cassettes et ses 64 ko de RAM. Ce n’était pas le mien — je n’aurais pas su quoi en faire — mais celui de mon frère, passionné de nouvelles technologies dès l’adolescence. C’était en 1984.
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